Quoi dire ? Que raconter ? Est-ce que j’ai un truc à te raconter, ce soir ? J’ai rien à te raconter.
Raconte-moi encore comment l’univers s’ouvre quand tu touches la peau d’Adam du bout de tes doigts. Raconte-moi encore comment Miel t’a trahie, comment Sen t’a baladée…
Tu aimes les histoires tristes ?
Non… Mais j’aime celles que tu racontes avec passion…
Sen… J’ai une boule au ventre, tu sais… J’aimerais bien la vomir. Je crois que c’est une sorte de perle. Je me sens un peu huître, tu vois. Huître. Peut-être que Dieu m’a mise ici dans un bain avec des trucs dégueulasses autour de moi, dans l’espoir que je crée des perles. Des belles perles. Après m’avoir cueillie, il ouvrira de force mon coquillage résolument résistant, m’ouvrira le ventre, et jubilera de voir ces grosses perles dodues. Mon corps et mon existence n’auront plus aucune valeur.
Ça fait comment cette perle dans ton ventre ?
Tu meurs. Et autour : un vide immense. L’intérieur de moi, où il pleut des gouttes. Ploc. Ploc. Comme dans ces grottes où l’eau est comme un miroir. Et tu ne vois que toi malgré la poésie du paysage. Où les 36,5 degrés de ton corps ne suffisent pas à te rappeler qu’à la surface, la vie existe. Où on ne voit que les racines des arbres, jamais les feuilles. Où tu n’entends que tes pas et les gouttes qui voyagent. Les pas.
Quelqu’un vient te chercher ?
Non jamais… Tu vois, peut-être que ce qui fait mal, ce n’est pas cette perle que j’aimerais tant vomir… Peut-être que cette perle ne me faisait pas de mal avant que le vide se creuse autour d’elle. Peut-être que ce n’est pas la perle, le problème. Peut-être que c’est le vide qui creuse, qui fait si mal… Peut-être que mon sang a disparu. Peut-être que la vie s’en va peu à peu de moi, quand un·e humain·e me fait mal.
Pourquoi personne ne vient te chercher, Aleka ? Pourquoi personne ne vient ?
Peut-être que l’intérieur de moi, ce n’est pas un endroit fréquentable ?
C’est injuste.
Elle passe la couette sur sa tête et pleure en silence. Elle pleure sous la couette. Aleka reste les yeux fixes et vides. Comme si Sen n’existait pas. Comme si elle était absorbée par les bruits de l’intérieur.
Le jour se lève. Aleka tourne enfin la tête et regarde par la fenêtre. Sa bouche est entreouverte. Sen s’est endormie en pleurant. Les rayons du soleil après une nuit douloureuse sont toujours chaleureux. Mais il n’y a aucun rayon de soleil qui ramène à la vie ceux qui meurent pendant la nuit.
Laisser un commentaire