J’ai un p’tit mot à dire… Je vais vous raconter pourquoi vous m’emmerdez avec votre accueil cordialement bienveillant de l’IEF.
Il est fréquent que, dans certains choix de vie que j’ai faits, lorsque je les présentais, on me réponde un « han moi j’pourrais pas ! », ou « si vous êtes heureux comme ça ! ».
C’est un truc qui me met en rogne. Et comme tous les trucs qui me mettent en rogne, j’aime bien les décortiquer.
(Jules qui réfléchit)
Parce que vous devez pas vraiment bien comprendre pourquoi ça me met en rogne. Vous avez déjà le mérite d’être ouvert·e et de « ne pas me juger » sur les choix que je fais, petits mignons… Vous « acceptez la différence » et je devrais juste vous remercier pour ça. Mais c’est mal me connaître. Être acceptée, c’est tout juste un dû. Moi je veux être comprise, soutenue, encouragée, et même aidée. C’est pas fou, ça ?
Alors qu’est-ce qui me dérange ?
Eh bien le problème, c’est que vous ne comprenez pas du tout dans quoi s’inscrit ma démarche…
Ce qui est très chiant quand vous me dites ça, c’est que vous sous-entendez que je fais ce choix par confort personnel, quand en réalité :
IL EST POLITIQUE
Parmi les choix très marginaux que j’ai pu faire, en voilà quelques uns : l’IEF, l’AAD, le polyamour, avoir un enfant jeune, avoir une deuxième enfant ayant un géniteur et un père éducatif différents, manger mes crottes de nez et l’assumer (non c’est pas si politique, ça…).
En effet, je n’ai pas fait ces choix pour le plaisir ou pour mon confort strictement personnel. Je les ai faits parce que ce que me proposait la tradition me semblait injuste, soit pour moi-même, soit pour quelqu’un·e d’autre. Dominer ou être dominée ne me plaît pas.
Alors j’ai cherché des alternatives, les ai trouvées et les ai testées (et oh par contre, je ne dis pas qu’elles marchent, hein).
Parmi elles, l’IEF, par exemple.
L’IEF vient chez moi de mon propre traumatisme d’enfant « éduquée ». Comme tous les enfants de ma génération, pendant 16 années, j’ai été enfermée dans un endroit, contre mon gré, pour que des adultes mettent dans mon cerveau ce qu’il leur semblait bon que j’intègre. Cela a eu des conséquences désastreuses sur mon développement.
De manière assez logique, j’ai tout simplement refusé que mes enfants subissent le même sort. J’ai refusé que leur soit imposée une domination adulte aussi franche (parce que, soyons honnête, je ne peux pas leur épargner la domination adulte, pas même la mienne malgré tous mes efforts…). J’ai refusé d’être âgiste. Je me suis opposée (tout en restant dans un cadre légal, remarquez l’effort !) à ce qui m’est proposé, c’est-à-dire des discours de déresponsabilisation du style « mais aller à l’école c’est important, il faut apprendre des choses »… Genre je vais retourner ma veste après toutes ces années et décider qu’en fait, l’école c’est bien ? Trahir l’enfant que j’ai été, lui faire la violence de dire « oui l’école ça a de bons côtés quand même » ?!
Je ne l’ai pas fait pour mon bien, clairement pas. Non, ce n’est pas une joie pour moi non plus d’avoir mes enfants 24h/24h à charge. Je ne le fais clairement pas pour moi. Si je centrais les choses sur moi, je ferais en sorte de gagner de l’argent pour pouvoir m’acheter des chaussures (j’adore les chaussures) et manger des sushis tous les soirs (parce que si j’étais pas anti-âgiste, je ne serais pas non plus écolo). Je sortirais le moins possible parce que j’aime pas les gens, et je dormirais 11h par nuit parce que je suis un loir. Je mettrais mes enfants à l’école, ce qui me permettrait d’avoir un salaire beaucoup plus simplement, d’avoir un bien meilleur équilibre psychologique, une vie sociale bien moins marginale, une indépendance financière vis-à-vis de mon compagnon, et beaucoup moins de comptes à rendre au rectorat ainsi qu’à tout mon entourage.
Et mes enfants, elles, auraient la vie qu’elles n’ont pas choisie. Ce ne serait pas forcément une vie de martyr comme je l’ai vécue, ça je n’en sais rien. Mais elles ne l’auraient tout simplement pas choisie. Et c’est amplement suffisant pour être violent.
Vous savez, quand vous me dites des choses comme ça, ça me fait penser à une conversation comme suit :
La scène se situe en l’an -20 avant le Féminisme. Deux hommes se retrouvent au café et papotent.
Homme 1 : « Alors, qu’est-ce que tu es devenu, depuis ce temps ? »
Homme 2 : « oh eh bien… ça va… Fanny travaille comme bouchère et moi je m’occupe des enfants. On est super heureu·x·ses… »
Homme 1 : « Quoi ? Tu t’occupes des enfants ?! HAN J’POURRAIS PAS ! »
Homme 2 : « Ah. Oui, je sais que c’est pas commun, mais ça faisait cinq ans que c’est moi qui bossait à l’extérieur et qu’elle assurait tout à la maison, les enfants, le ménage, les provisions, la compta… Elle n’aura pas de retraite, elle n’a pas d’argent, ne peut pas s’occuper de ses centres d’intérêt… c’est pas super cool… Et en même temps, c’est important pour moi que la maison soit tenue… Du coup, on s’est dit qu’on ferait moit’-moit’. ».
Homme 1 : « Bah ouais mais c’est pas trop fatiguant ? »
Homme 2 : « Bah si… Mais… »
Homme 1 : « Enfin… Si t’es heureux comme ça… Mais bon, moi, récurer des chiottes et changer des couches… Je comprends, ça doit être cool d’être à la maison, mais bon, je crois que je suis pas fait pour ça, tu vois ? J’aime trop rentrer, que la maison sente bon, et qu’un p’tit repas m’attende ! ».
Homme 2 : « … »
Bon voilà. Je vous fais pas le topo… Là, ça saute aux yeux : le mec ne fait pas ce choix de vie PARCE QUE CA LUI PLAIT.
(Soit dit en passant, être parent au foyer, ça peut être très cool… Mais c’est un boulot bien moins gratifiant et valorisant que de bosser rémunéré·e.)
Il ne fait pas ce boulot pour LUI, mais parce qu’il n’est pas seul et qu’il a conscience qu’il faut un équilibre entre les besoins de toutes les personnes de la maisonnée. Il pourrait s’en foutre royalement parce qu’il est dans la situation du dominant. Elle s’adapterait en fonction de ses choix, parce qu’elle est dominée par tout un système. Mais il a décidé qu’il souhaitait respecter les besoins de sa compagne et avoir une relation juste avec elle. Donc il cherche un terrain d’entente entre ses besoins et les siens. Il fait des efforts (oh mon dieu).
Bah l’IEF, c’est pareil. Personnellement, passer 24h/24 avec mes enfants, c’est vraiment un truc qui me coûte à fond. Je suis solitaire : mon quota de compagnie s’épuise au bout de deux heures par jour, et j’ai besoin de dormir BEAUCOUP (donc la présence d’une enfant insomniaque c’est problématique). Je suis plutôt assez intellectuelle, donc mes occupations sont très ennuyeuse pour mes filles. J’ai horreur de faire à manger, même pour moi, alors pour trois…
Mais j’ai décidé que je voulais que mes filles aient la possibilité de choisir leur vie au moins autant que je choisis la mienne. Et ça implique que je m’assoie sur mes privilèges. Et c’est pas drôle.
Ce que vous me renvoyez quand vous ne comprenez pas ça, c’est que vous n’avez pas compris que vous jouissez de pivilèges. Or tout privilège est au détriment de cellui qui est dominé·e.
Mon « choix » n’est pas un « choix », c’est un devoir. Le devoir du dominant.
C’est le « choix » que ne fait pas votre mari quand il ne lave jamais les chiottes.
C’est le « choix » que ne fait pas Matthieu, 30 ans qui ne se lève pas quand Mina, enceinte de 8 mois, arrive dans le bus.
C’est le « choix » que ne fait pas le gynécologue qui s’apprête à faire une épisiotomie en ignorant les objections de la patiente.
Ce n’est pas un choix. C’est une obligation morale.
Enfin, pour être claire, je tiens à ajouter ceci : il est impossible d’être dans des relations justes tout le temps et avec tout le monde. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de « bon choix de vie » et que je ne fais jamais la morale à qui que ce soit pour ne pas faire son devoir d’adulte dominant. Je ne considère pas réellement avoir une pratique anti-agiste par essence. l’IEF est très souvent l’inverse : la volonté des parents de contrôler leur enfant. Cette « obligation morale » que nous avons en tant qu’adultes dominant·es peut s’exercer d’autres manières. Mais il y a une différence entre ignorer que vous jouissez de privilèges sur le dos de quelqu’un·e et savoir que vous jouissez de ces privilèges mais ne pas avoir la possibilité réaliste de les laisser tomber.
L’agisme est une discrimination systémique. Ça veut dire que votre rôle de dominant est pris dans un système : vous n’avez pas le pouvoir de modifier ce système, vous avez seulement le pouvoir de modifier votre comportement. Tout comme les hommes qui tentent de déconstruire leur propre privilège masculin, vous n’aurez qu’une maigre marge de manœuvre, mais le minimum, c’est au moins de s’instruire et faire son taff…
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