Définition
Le rang est une notion que l’on rencontre dans le Process Work. Sa définition est souvent synthétisée ainsi : « le rang, c’est tout ce qui nous rend différent·es les un·es des autres ». Il s’agit de notre « place » dans la société, avec les privilèges que nous avons.
Blanc·he, noir·e, riche, occidental·e, handicap·ée, valide, parlant français, parlant français et anglais, sachant écrire, né·e dans une grande famille, orphelin·e, aristocrate, trans, etc., sont des éléments constitutifs de votre rang.
Le rang est un endroit spécifique de pouvoir. Nous pouvons des choses différentes en fonction de notre rang.
Le rang n’est pas mérité, il est en majorité le fruit du hasard (chose que les personnes vivant dans une idéologie méritocratique ont tendance à l’oublier).
Contrairement aux approches assez matérialistes d’analyse des privilèges, il est considéré que les traits psychologiques ou spirituels, ainsi que les compétences sont constitutifs du rang. Je ne parle pas de la religion à laquelle vous appartenez peut-être, qui est bien sûr concernée par des dynamiques d’oppression. Je parle d’une capacité émotionnelle que vous pouvez avoir à surmonter un deuil, d’une connaissance que vous avez de la guerre parce que vous en avez été témoin, d’une nouvelle langue que vous venez d’acquérir et qui vous fait changer de rang, etc.
Notion liée : l’inconscience de rang
L’inconscience de rang est le fait d’ignorer son rang. Elle engendre de nombreuses tensions, puisque la personne inconsciente de son rang est une personne qui ne reconnaît pas les privilège dont elle jouit.
Ce que j’aime bien
Ça fait bien longtemps que j’utilise le terme de privilège, mais dans les communautés que j’ai croisées, je n’avais jamais rencontré un mot pour désigner cet endroit spécifique où nous sommes dans la société, du fait de notre genre, de notre sexe, de notre langue, de notre nationalité, etc. Dire dans mon cas « je suis blanche » dit des choses mais ne dit pas tout de mon rang. Utiliser le terme « rang » me permet de dire « toutes ces choses qui me caractérisent, dont une partie que je n’ai pas encore conscientisée, dont certaines me donnent des privilèges, d’autres pas, et qui, mises ensemble constituent un endroit d’intersection spécifique ». C’est donc un mot que j’utilise maintenant couramment.
Ce que je n’aime pas
Les deux erreurs que j’ai croisées dans l’application de ce concept :
Première erreur : la notion de « dose » de rang
Cette erreur, qui est la moindre des deux, démontre principalement d’un manque de cohérence, conséquence du peu d’approfondissement du concept d’oppression par les personnes qui pratiquent et enseignent le PW. En plus de démontrer un potentiel manque de sérieux, il me semble également important de souligner les incohérences dans ce type de milieu aux tendances New-Age de manière systématique, sinon quoi la physique quantique a tôt fait de tout justifier…
On peut imaginer le rang comme un numéro dans une liste (mais l’imaginer seulement, car classer les personnes en fonction de leur quantité de privilège est un exercice à la fois complexe et à mon avis à prendre avec de grandes précautions). Plus vous êtes en haut de la liste, plus vous avez un statut qui accumule des privilèges ; autrement dit, plus vous avez de pouvoir. Vous ne pouvez pas avoir plus ou moins de rang. Si vous obtenez plus de pouvoir, vous ne « gagnez pas du rang », vous en changez.
Malgré cette caractéristique inhérente à la définition du mot choisi, il est d’usage de dire dans l’espace du PW que j’ai côtoyé : « j’ai plus de rang dans cette situation », « ça me donne du rang », etc. Il s’agit à mon avis d’une approximation due au fait que le rang mobilise le concept de pouvoir, que les personnes du milieu New-Age ont du mal à appréhender. Un tabou existe dessus : « Oulalah le pouvoir sur quelqu’un, quelle idée terrible, et si on l’enlevait du vocabulaire ? Et hop, plus de pouvoir, plus d’oppression, plus de violence, plus de méchant·e et tout le monde il est gentil… ».
Le problème principal avec cette approximation est que tantôt les personnes vont accepter la notion d’oppression « absolue », tantôt on va rappeler que « tout le monde a du rang ». Dans certains cas balisés, comme par exemple la situation d’oppression des femmes, qui est tout à fait mainstream dans ses très grandes lignes, l’oppression est plutôt considérée comme absolue. Mais si vous commencez à vous plaindre de votre rang, quelqu’un·e s’empressera aussitôt de vous rappeler que « vous avez forcément du rang quelque part ». Sous-entendu : vous avez nécessairement du pouvoir quelque part, c’est simplement que vous regardez le verre à moitié vide… Votre famille a été décimée par le régime de Bachar el-Assad ? Mais avez-vous conscience de la force que ce deuil vous donne ?! Et que les occidentaux ne vivront jamais !
Outch.
Il est important que les personnes qui ont du pouvoir le saisissent pour en faire quelque chose (de pas con, pour une fois). Cependant, il me semble important de respecter la situation d’oppression de certaines personnes. Je crois profondément que les violenter une énième fois en ignorant leur situation réelle d’impuissance (situation dont vous-même n’avez aucun embryon d’idée) est encore une fois ne pas leur permettre de valider leur situation : elles vivent un abus de pouvoir, elles ont un besoin de justice qui ne sera jamais assouvi, et elles ont besoin de « deuiller ». Peut-être ensuite trouveront-elle le micro-espace pour continuer de survivre et, si leur organisme peut encore le supporter, de lutter.
Deuxième erreur : la notion de contexte
Deuxième erreur, celle-ci entièrement problématique, qui m’a toujours chiffonnée (euphémisme) avec cette notion. Il est répété avec insistance dans la communauté dans laquelle j’ai rencontré le PW que le rang est contextuel. Personne blanche, nous serions privilégié·e en France par exemple, mais nous ne le serions plus en Afrique, où au contraire les personnes noires le seraient puisqu’elles y vivent en majorité numérique. Cette idée flirte étrangement avec la notion de racisme anti-blanc·hes. S’il existe effectivement des phénomènes d’oppression locale – je vous conseille cette vidéo de Wissam si vous sentez votre fragilité blanche se réveiller – cette idée nie à la fois le mécanisme d’oppression systémique et la globalisation des oppressions systémiques.
Je précise que je ne sais pas si cette erreur se trouve originellement dans la pensée d’Amy et Arnold Mindell, créateurices du PW, ou s’il s’agit d’une déformation de la communauté spécifique dans laquelle j’ai mis les pieds. Toujours est-il qu’il me semble bon de faire un point là-dessus pour que cette idée ne se répande pas davantage.
Selon cette conception, toute personne, dans un contexte donné, se retrouverait potentiellement à un endroit d’oppression. Aristocrate multi-millionnaire, vous auriez « moins de rang » à une fête de quartier (il suffit de changer « rang » par « pouvoir » et ça paraît d’un coup assez stupide comme idée…). Personne cis dans un groupe de personnes transgenre, vous seriez perdu·e dans un bain de licornes magiques et d’hippopotames en bas résille…
Cette relativité de l’oppression malaisante ressemble à une forme de fragilité des personnes qui pratiquent le PW – il faut le rappeler, en moyenne excessivement privilégiées. N’ayant pas encore compris que leur endroit de pouvoir est absolu, justement, et certainement pas relatif, elles peuvent continuer de légitimer l’ordre social et politique de notre monde. Cette compréhension du concept soutient l’idée d’une pseudo-égalité avec ceux et celles qu’elles considèrent comme leurs pair·es (« Toi tu es petite-fille d’esclave mais moi j’ai vécu des agressions par des noirs dans ma cité, tu vois bien qu’on est au même endroit… ») et peuvent demander aux opprimé·es d’appliquer la solution qu’elles ont trouvée : la remise en question, le self-control, le pacifisme, la responsabilisation de ses émotions et de ses besoins, etc., en bref du développement personnel, qui est l’outil qu’ont effectivement besoin de développer les personnes dominantes. Malheureusement, ces injonctions jetées à la face des personnes victimes d’oppression sont au mieux inefficaces. Au pire, elles sont l’énième coup de massue oppressive sur leur tête, combinant un savant mélange de manque de compassion, de paternalisme, et d’encouragement à toujours plus d’effort.
Conclusion
Si je salue un nouveau mot de vocabulaire dans ma boîte à outil (et j’espère que vous savez à quel point j’adore les mots), il me semble urgent d’affiner son utilisation. J’espère ici poser les bases de cette réflexion et clarifier des sentiments de malaise de certain·es militant·es, victimes d’oppression, et compagne·ons de route du PW.
J’ai été ravie de rencontrer le PW et j’ai compris que l’approche systémique, qui semblait être explorée (ce qui est assez rare pour m’avoir intriguée), n’était en fait qu’assez superficielle. Pire, traitée depuis un biais dominant, elle devient franchement dangereuse. Je compte bien continuer ma route avec l’outil qu’est le PW en me le ré-appropriant, et trouver des espaces pour le pratiquer avec des personnes sont davantage au fait des notions d’oppression. Spoiler alert : le process work sauvage pourrait être un début de réponse.
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