Pute en guerre sainte

Qasim a pris une photo de nous. Au milieu, moi en mini jupe. Au milieu des deux garçons. C’est moi. La pute.

Quand je me vois sur cette photo, je vois juste la discorde que j’ai créée dans leur amitié masculine, la discorde qui prend trop de place avec ses cuisses démesurées et vulgaires…

Jules : Depuis sa lecture de « La salope éthique », Aleka n’a plus trop de mal à considérer qu’elle est une pute. Alors bon, pute et salope ce n’est pas la même chose. C’est bien davantage une salope qu’une pute puisquelle n’a jamais été payée pour ses services sexuels.

Oui le mot choisi est assez inexact…

Le fait que je suis une salope est régulièrement soumis à un débat public.

J’ai effectivement décidé, à un moment de mon parcours, d’être une salope éthique. Une personne qui ferait ce qui est immoral parce qu’elle juge que l’éthique le nécessite. Qu’est-ce qui était plus juste que la morale ?

–> ✨🦄🌈💘 L’AMOUR !!! 💘🌈🦄✨

Le couple monogame semblait tout à fait inadéquat à une théorie de l’être humain que j’avais étudiée et dont je vous passe les détails pour ne pas paraître encore plus ridicule (j’ai une certaine forme de fierté). Ce n’est que bien après que la théorie de l’attachement a invalidé ma grille d’analyse et que le monde théorique sur lequel j’avais bâti mon polyamour, ma guerre sainte, s’est effondré. Nous en reparlerons plus tard.

Faire l’apologie de l’amour n’est pas difficile pour une ex-chrétienne. Faire l’apologie du sexe et de l’autosatisfaction est bien plus difficile. C’est à cet endroit que le terme de salope a son importance. Au fond, je ne me sentais pas « propre » à faire ce que je faisais. Il y avait l’aspect sexuel certes, mais l’autre épine dans mon pied c’était que je constatais que malgré mes intention, malgré ma licornitude absolue , malgré ma bisounoursitude décomplexée, les « autres » souffraient autour de moi. Cependant, cet indice ne pouvait être convaincant. L’avant-garde, ça dérange, c’est comme ça. Ils seraient dérangés et ce serait la preuve que l’œuvre se poursuit. Ce serait la preuve que ce qui est fait est juste, que la déconstruction s’opère. Moi, grande Chevalière de l’ordre de l’Amour et du Cul, j’allais bientôt illuminer ce monde obscure de ma torche en peau de bite1.

Quand je regarde cette photo, je me demande toujours où j’aurais pu me mettre pour que l’image ressemble moins à une caricature de notre situation. Mais l’image parle vrai. Ma place, c’était entre eux. Les séparant comme une faille sépare deux plaques tectoniques : je suis là, poussez-vous, laissez moi de la place. Et subissez.

J’ai honte de cette fille. Cette honte, laisse-moi la ressentir aujourd’hui. Parce que Jules m’en a empêchée pendant tant d’années. Elle a prétendu tout ce temps que je me trompais, que c’était un ressenti de normie : « c’est tellement misogyne de rejeter la faute de ce genre de situation sur la meuf… ». Oui. Mais moi je sais ce que je ressens. Et ce n’est pas de la fierté. J’ai honte de cette fille.

Abby n’est pas sur la photo. Pourtant elle est déjà née, et Jude bien sûr aussi. Mais on a vingt ans. Les pulsions, la folie, les amours de vingt ans… Je suis mère, mais je suis aussi pute. Ce n’est pas facile d’incarner les deux dans un même espace temps. Je fais preuve en réalité d’une certaine habileté. Sur cette photo, on le voit bien.

Qasim prend la photo. Il est dans le hors champ mais c’est peut-être lui le vrai protagoniste. Son regard sur nous, une sorte d’amour fasciné, à cette époque – qui a bientôt mué en haine bien légitimement – cette photo en est toute emplie. Il n’existe pas officiellement dans cette histoire, mais il a su se frayer une place. Parce qu’il la trouvait très intéressante, cette histoire, mine de rien. Il sera le spectateur pervers, le confident qui comprend et ne comprend rien tout en même temps. Qui console avec dégoût, cautionne en culpabilisant. Il connait l’histoire ; pas toute à l’époque de la photo, mais il n’a pas besoin de le savoir consciemment pour intuiter la complexité du moment. Il est le spectateur lucide de cette histoire d’exhibitionnistes. J’hésiterai d’ailleurs longtemps à lui révéler la totalité de l’histoire, mais les deux mâles à ma droite et à ma gauche n’en avaient pas envie. Ils n’en avaient pas envie, comme ça. Comme un pachyderme qui bande mais qui a la flemme. Et lorsque Qasim la connaîtra enfin, la totalité de l’histoire, ce sera par les mots d’Adam, que je n’ai jamais entendus. J’ignore s’il a reflété une réalité qui nous semblait juste, à Marty et à moi.

Je ne sais toujours pas ce qui aurait été juste. Peut-être aurait-il été juste que je lui dise les choses dès que j’en ai eu envie, tout simplement.

Être éthique, c’est fatigant.

Edit (10/01/2025) : récemment, par pur hasard, ou peut-être parce que toute l’histoire est en train de se réécrire, j’ai eu l’occasion de revoir cette photographie. Je pense l’avoir vue peut-être une ou deux fois dans ma vie et je pensais qu’elle était perdue. Comme toutes les choses perdues à jamais, elle était dans la Salle sur demande du Château de Poudlard (toi tu crois pas à la magie… Eh bien t’as tort). Elle est bien aussi incroyable que dans mon souvenir, seulement ce n’est pas moi qui suis au milieu des deux garçons. L’inexactitude de notre mémoire a ce merveilleux pouvoir de nous laisser travailler nos névroses en toute créativité...

  1. cf. Harry, un ami qui vous veut du bien ↩︎

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