Un jour quelqu’un disait que les gens qui ne montrent pas leur travail, c’est qu’iels ne sont pas réellement compétent·es. Je ne crois pas. En tout cas, je me suis posé la question, et j’ai constaté que ce n’est pas mon cas. A la limite, on peut dire que je suis incompétente dans la capacité à montrer mon travail. C’est effectivement une capacité en soi : parmi celles que je n’ai pas, il y a effectivement gérer son stress, accueillir des compliments.
Non, je ne pense pas être incompétente.
Je n’aime pas partager ce que j’écris. Je suis introvertie mais ça n’explique pas tout. Ça fait des années que je lutte pour arriver à montrer mon travail, quel qu’il soit. Je travaille beaucoup et j’aime profondément ce que je fais, mais partager c’est compliqué.
Très souvent, on m’a dit que je manquais « d’assurance ». C’est une petite phrase qui a l’air d’être amusante à dire, du côté de cellui qui la dit, j’ai déjà été tentée de l’envoyer moi-même, par mimétisme. Pourtant pour moi, c’est une phrase assassine. C’est quelque chose de facile à envoyer à une personne dont vous savez qu’elle ne vous mordra pas. Mais ce n’est pas parce que je refuse la domination ou que je fais de mon mieux pour ne pas mordre que je manque d’estime pour mon travail ou pour moi-même. Je reçois généralement ces paroles comme un abus de pouvoir. Décréter de ce qu’il se passe à l’intérieur de moi alors même que vous n’avez pas la subtilité de voir la force que je montre, qui effectivement n’est pas un gros muscle saillant, c’est pour moi votre aveu de faiblesse.
Non, je ne manque pas non plus d’estime pour mon travail.
Hier j’ai compris quelque chose à ce sujet. Alors que j’avais partagé mon travail de la journée à mon compagnon, il a relevé ce qu’il manquait à mon travail. Il m’a fait un retour, qui était légèrement critique.
Par principe, je reçois toujours la critique. J’y suis perméable. J’ai la croyance que c’est la forme-même de l’intelligence collective. Je crois que si je suis capable de m’ouvrir à ce qu’une personne me dit, je m’ouvre à une intelligence collective, et j’agrandis mon propre champ de compréhension et de sensibilité.
Mais là, après ma journée de travail, un travail qui était l’aboutissement de plusieurs mois, face à ces micro-critiques, j’ai senti que mon visage se décomposait. J’entendais ce qu’il me disait, et il avait raison. C’était pertinent. Ça demandait de retravailler quelques aspects, c’était de nouveau quelques heures de travail. Je sentais à quel point j’avais juste envie qu’il me dise « waw mais c’est incroyable ce travail que tu as fait ! C’est trop bien ça va révolutionner le monde entier ! ».
J’étais un peu honteuse parce que j’avais seulement et exclusivement envie qu’on me dise que ce que j’avais produit était génial. Parce que c’était là où j’en étais : ce que j’avais produit me stimulait au plus haut point, j’étais très fière et je trouvais ça très excitant. J’étais mal à l’aise de n’avoir envie de recevoir que des compliments. Donc je n’en ai pas fait une histoire. Et ça trotté dans ma tête.
Puis j’ai fini par mettre le doigt dessus : mon besoin du moment, c’était de célébrer avec d’autres personnes. J’avais envie que tout le monde soit aussi jouasse que moi, qu’on se rallie à moi pour partager ce sentiment incommensurable de joie et d’excitation. Je n’étais pas allée chercher quelqu’un·e pour qu’iel me dise ce qu’iel en pense, mais pour vivre ce sentiment – et seulement celui-là – à plusieurs. Qu’on célèbre le travail accompli, en s’attardant temporairement, uniquement sur l’accomplissement que c’est et la part de réussite de ce travail. J’avais envie de savourer cette joie simple autant de temps qu’elle pourrait durer (parce que la joie c’est cool).
Ça m’a beaucoup apaisée de voir que c’est une histoire de temporalité. Non, je n’ai pas besoin qu’on plébiscite mon travail indéfiniment. Il y a toujours des choses à revoir, surtout quand le travail a été laborieux et qu’on a fini en sueur, donc qu’on a bâclé certains aspects. C’est juste une question de moment : là, ce n’est pas le moment qu’on me retourne une critique. Et d’ici deux jours par contre, j’en serai sans doute avide ! D’ailleurs, en remettant simplement le nez dans mon travail je vois moi-même tous les ratés. Parfois il faut reprendre le fond intégralement…
Bon, le mot de la fin c’est : j’ai envie de laisser autant de place aux joies qu’aux angoisses. Les dernières savent très bien prendre toute la place et être tyranniques envers mon système. Alors pourquoi la joie ne pourrait-elle pas être tyrannique de temps en temps ?
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