Ce mot, aimer, je ne sais plus ce qu’il veut dire.
Je suis déçue. Avant, j’aimais, comme ça, facilement. Ça venait, j’aimais, c’est tout. Je me passionnais pour toi, pour elle, pour un autre.
Je n’ose plus dire « j’aime » ou « je t’aime ». Il n’y a rien de romantique dans les émotions. Pas plus dans les sentiments.
Je suis devenu, depuis, un cerveau. C’est un nouvel organe, que je ne connaissais pas. Trouvaille. Après âme, cœur, vagin, clitoris, j’ai découvert cerveau. Bonjour cerveau. Coucou toi. Cerveau, tu aurais quelque chose d’intéressant à me dire ? Cœur m’a rendu la vie trop difficile. Oui Aleka, regarde tout ce que je peux. On va faire tout ça. Super, cool, je signe.
Je me suis enrôlée, comme ça, dans une trentaine monotone, cynique, et violente. J’ai pu m’oublier et oublier le monde autour de moi.
J’ai de la peine, tellement de peine. Je me rappelle ouvrir cette porte froide en ferraille. « Les gens ne s’aiment pas ». Cela fait quelque chose comme six ans, peut-être. Je prenais conscience que les gens n’étaient que rarement mus par un sentiment d’amour. J’atterrissais, peut-être, simplement. Vingt-cinq ans pour arriver au monde. Je me rappelle de cette inertie dans mon visage : je n’ai pas envie de sourire. Cette bouche sur ma face, une sentence. La traversée de ce seuil, je regarde en arrière : « vous êtes sûrs ? »… Passer, refermer la porte, changer de monde. Changer de paradigme pour un plus triste.
Je n’y arriverai jamais. L’aridité du monde, je veux dire. Je n’arriverai jamais à m’y faire. Je me rappelle cette amie qui me dit « toi, tu as un grand cœur, tu peux y mettre tout le monde dedans, moi c’est pas pareil ». Cynique ou pas ? Que voulait-elle dire par là ?
J’ai envie de pleurer. Oui, moi aussi j’ai peur, j’ai mal, j’ai faim, j’ai soif… Mais je n’ai jamais haï à cause de ça… J’aimais, tout le temps, pour tout. Aujourd’hui, j’essaie d’apprendre qu’une personne normale doit haïr quand l’autre lui pique son pain.
Je suis A-normale. De la famille des A. J’essaie d’être normale. Ah oui, je peux être en colère si on me pique mon pain. Je peux, si… oui, si si. Ouhlala que je suis fâchée. Mimer la colère est devenu un réflexe de survie. Mais pas être en colère, toujours pas.
Je n’ai aucun sentiment de supériorité quand je dis ça. Je n’en ai pas. Ça n’a rien de supérieur de ne rien comprendre et de passer sa vie à tenter de reconstituer un puzzle que le reste des humain.es a l’air de faire quotidiennement sans réfléchir.
Je n’ai pas su la haïr… Je voulais la rencontrer. Je voulais la voir. Et dans mes viscères, ce champ qui se laboure : Aleka, tu te fais violence à l’aimer… Je l’aimais, et pourtant, elle m’éloignait de ce qui était le plus viscéralement précieux au monde pour moi… J’aurais dû la maudire, mais non, je ne ressentais pas ça. C’était un autre être humain, c’était une potentielle petite soeur, une potentielle amie.
Patience ?
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